CNES

Le Directeur exécutif de la Confédération des employeurs du Sénégal (Cnes) décortique l’adresse à la Nation du chef de l’Etat du 3 avril ainsi que les mesures annoncées par ce dernier. Dans son analyse, Mor Talla Kane considère que «le message renvoie à un engagement clair aux côtés du secteur privé et les mesures annoncées vont dans le bon sens». Il reste maintenant, selon lui, «à réussir le monitoring, l’exécution et le suivi dans le cadre d’une concertation inclusive afin de sortir de cette crise par le haut».

Est-ce que vos préoccupations ont été prises en charge à travers les différents axes du Programme de résilience économique et sociale mis en place par l’Etat ? 
Le message du 3 avril est un moment fort du chef de l’Etat pour s’adresser à la Nation et cette année, nous avons eu droit à un discours qui a été pour lui, l’occasion de montrer sa détermination à faire face à cet ennemi planétaire qu’est le Covid-19. Les mesures annoncées sont à la hauteur de la menace et peuvent réarmer moralement le monde de l’Entreprise qui a trouvé en l’Etat un allié dans le combat qui se prépare contre la récession annoncée.
A vrai dire, si nous nous en tenons aux préoccupations exprimées par nos membres et plus généralement, par une large frange du secteur privé, nous pouvons dire que le Programme de résilience économique donne satisfaction.
Déjà le Programme de résilience économique et sociale renvoie à une vision qui va au-delà de la lutte contre le Covid-19. Donc penser à la relance alors que nous n’en sommes qu’au début de la pandémie traduit déjà un esprit d’anticipation qu’il faut saluer. Mais après ce discours particulièrement rassurant, nous irons forcément à l’étape de mise en œuvre des mesures et c’est à ce niveau que nous attendons les structures qui ont en charge l’exécution des décisions arrêtées. Se poseront en effet les questions de transparence et de diligence qui sont déterminantes en période de crise.
Il ne faudrait pas que des lenteurs dans l’exécution des décisions ne trahissent l’espoir soulevé par les engagements de l’Etat.
Nous insistons cependant, sur la nécessité d’aller plus loin concernant certaines mesures notamment fiscales. En effet, au-delà des entreprises impactées par le Covid-19, il faut réarmer celles qui étaient déjà en difficultés avant la crise et qui présentent un caractère stratégique ou ont un fort potentiel de développement. Entre autres mesures, l’amnistie fiscale qui asphyxie nombre de Pme en difficulté devrait être réexaminée dans le cadre du programme de soutien. Les efforts consentis par l’Etat dans le cadre des mesures actuelles sont appréciables mais l’objectif est d’éviter l’hécatombe au niveau des Pme, mais aussi de repeupler le tissu économique dans la perspective de la relance.

Quel commentaire vous inspire la batterie de mesures que le Président Sall a annoncée dans son message à la Nation du 3 avril 2020 ? 
Les mesures de soutien aux entreprises sont bien entendu le volet qui nous intéresse particulièrement. Il s’agit en réalité du dispositif qui est appelé à soutenir l’activité économique donc en définitive sa pérennisation. Il y aura bien entendu un après Covid-19 et ce combat doit être mené dès à présent. C’est d’ailleurs au plan économique que se joue la résilience. La Cnes avait communiqué un mémorandum aux autorités et nous avons constaté que les préoccupations du moment qui y ont été recensées ont bien été prises en compte à travers la série de mesures annoncées. Toutefois, comme nous le disons ce sont les préoccupations du moment dans la mesure où nous n’en sommes qu’au début de la pandémie. D’ailleurs, dans son allocution, le chef de l’Etat nous annonce que c’est «devant l’urgence et en attendant une évolution complète des effets de la crise sur l’économie nationale» qu’il a mis en place le Programme de résilience et sociale doté d’une enveloppe de 1000 milliards de francs Cfa.
Dès lors, les mesures à prendre épouseront forcément la courbe de la pandémie tant dans sa durée que par la longueur de sa chaîne de diffusion dans l’économie. Ensuite nos attentes portent sur l’opérationnalisation de ces mesures de soutien. Vous savez, se pose déjà la question de l’opérationnalisation des mesures. Nous savons que nous avons souvent des faiblesses lorsqu’il faut donner corps à nos politiques et programmes. Les secteurs et entreprises impactés devront être identifiés avec beaucoup de célérité pour donner tout son sens au Programme de résilience économique et sociale. Et, ce n’est pas chose aisée contrairement aux apparences. En effet, les critères qui devront guider les décideurs dans la sélection sont déterminants. D’ores et déjà, il y a des secteurs qui sont identifiés du fait qu’ils ont été les premiers exposés à la crise. Toutefois, ils peuvent être rejoints très rapidement par d’autres secteurs ou filières qui sont actuellement au deuxième rang. En fonction de la durée de la crise, certains secteurs pourraient se révéler aussi impactés que ceux actuellement identifiés. Dès lors, il faudra être vigilent et donc veiller à ne sacrifier aucun secteur en particulier les plus stratégiques comme l’éducation. A titre d’exemple, l’enseignement privé a été l’un des premiers secteurs impactés suite à la décision de l’Etat de fermer les instituts de formation. Et le message du Président nous rassure lorsque dans son message il annonce, s’adressant aux entreprises et à leurs salariés victimes de la crise, «…l’Etat ne vous abandonnera pas».

En contrepartie, le Président dit que les entreprises doivent s’engager à maintenir les salaires de leurs employés ou à payer plus de 70% du salaire des employés mis en chômage technique.
Nous avons la même préoccupation que le chef de l’Etat. Il s’agit de préserver les emplois et au-delà de l’aspect économique, se pose la dimension sociale et humaine pour les employeurs. Il s’agit de collaborateurs dont il faut assurer des revenus et une stabilité sociale. Toutefois, il faut trouver le juste équilibre entre cette dimension humaine et la pérennisation de l’activité des entreprises ; en un mot se pose simplement la soutenabilité des décisions. Le fait que l’Etat accepte de soulager les entreprises qui veulent garder les emplois est salutaire. Elles ont bien apprécié cette mesure qui a une dimension à la fois économique et sociale ; d’autant plus que comme nous le soulignions plus haut, il y aura un après-Covid-19. Dans cette perspective, chaque entreprise se doit de garder les ressorts de sa relance et en premier lieu son personnel.
Cependant, cette volonté de garde des emplois n’empêche pas la centralité de la question de la soutenabilité de la masse salariale par rapport à l’activité. On ne garde pas un personnel pour des raisons uniquement sociales au risque de compromettre la survie de l’entreprise et sacrifier l’ensemble des emplois actuels et futurs. Maintenant, il est sûr que la décision de l’Etat va conforter nombre d’entreprises qui sans cela, auraient supprimé des emplois en surnombre pour assurer leur survie. Or, n’oublions pas qu’un des leviers de la relance devrait passer par la demande intérieure robuste incompatible avec un chômage massif et le tassement des revenus.

Etes-vous en phase avec cette attente du chef de l’Etat ?
Nous comprenons les préoccupations du chef de l’Etat et sommes très sensibles à son appel pour la sauvegarde des emplois. Nous allons relayer cet appel auprès de nos membres pour que là où c’est possible, les chefs d’entreprise concilient sauvegarde de l’activité et approche responsable des ressources humaines afin de ne pas ajouter une détresse humaine à la crise économique. Je crois que le message du Président a le mérite de rappeler aux uns et aux autres leurs obligations citoyennes en plus de leur donner les moyens d’assurer dans les meilleures conditions la poursuite de leurs activités. La rationalité économique ne doit pas être le seul critère à l’aune duquel l’entreprise va fonder sa décision. Mais encore une fois, toute réponse devra satisfaire à la soutenabilité de ces mesures pour chaque entreprise parce que le social a un coût et il ne faut jamais l’oublier. Mais encore une fois, nous sommes en situation de crise et les entreprises ne doivent pas être enfermées par la seule logique de rentabilité financière. Les efforts sont attendus de chaque composante de la société et des entreprises en particulier.

Est-ce que les opérateurs économiques ont été édifiés sur l’opérationnalisation des mesures qui ont été annoncées par le président la République ?
Comme je le disais plus haut, le plus grand défi auquel nous devons faire face est celui de l’opérationnalisation où notre Administration a montré parfois des faiblesses. Nous l’avons expérimenté dans la conduite de certains programmes et politiques économiques. Il nous est souvent difficile de mener jusqu’à terme nombre d’initiatives que nous prenons. S’y ajoute que nous avons la grande contrainte du temps qui nous est compté. Gérer les premiers impacts, anticiper les évolutions négatives et préparer la relance économique sont aujourd’hui, notre défi immédiat. Le paiement de la dette intérieure, le remboursement de la Tva et les mesures de soutien à la trésorerie des entreprises et d’accès aux ressources financières sont les plus attendus si nous voulons éviter le démantèlement de pans entiers de notre économie.
Tout cela exige une capacité d’imagination et des moyens plus ou moins importants en fonction de l’impact du Covid-19. Nous venons d’adresser au ministre des Finances et du budget, un courrier pour l’inviter à organiser une concertation avec le secteur privé sur les questions qui relèvent de son département afin de nous permettre d’avoir une appropriation commune de ces mesures ainsi que des modalités pratiques de mise en œuvre. Je rappelle souvent à mes interlocuteurs que nous avons réussi l’exercice de la dévaluation sans trop de casse en organisant un cadre de concertation public-privé où toutes les questions étaient discutées.

D’ailleurs c’est à partir de ces concertations que nous avons pu bâtir la qualité de notre concertation public-privé.
Nous avons de grandes attentes sur les critères de sélection des secteurs et des entreprises qui doivent bénéficier des mesures de soutien et cela doit se faire à partir d’une analyse partagée avec tous les acteurs. Une fois de plus, il faut surtout éviter que des acteurs impactés soient laissés en rade. Le processus de sélection doit être suffisamment ouvert pour prendre en compte plusieurs préoccupations. D’abord l’impact aussi bien direct qu’indirect sur les entreprises individuelles et ensuite l’approche filière et chaîne de valeurs en vue d’assurer une solidité à la colonne vertébrale de notre secteur productif à partir de laquelle bâtir notre relance après le Covid-19. En conclusion, le message du chef de l’Etat renvoie à un engagement clair aux côtés du secteur privé ; les mesures annoncées vont dans le bon sens, il reste maintenant à réussir le monitoring, l’exécution et le suivi dans le cadre d’une concertation inclusive afin de sortir de cette crise par le haut.

PROPOS RECUEILLIS PAR 
DIALIGUÉ FAYE – DIALIGUE@LEQUOTIDIEN.SN

 

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