CNES

Le tout nouveau patron de la Confédération des employeurs du Sénégal décline sa feuille de route. Laquelle, selon Adama Lam, embrasse l’ensemble des domaines d’activités des entreprises membres de la Cnes. Le successeur de feu Mansour Cama considère que «pour diriger une association, il faut avoir le dos large». Ainsi s’engage-t-il à continuer à tendre la main à tous ses collaborateurs. Mais tout en restant «intransigeant» sur la préservation de l’image de la Cnes qu’il défendra «sans rancune aucune et sans faiblesse coupable».

Vous venez d’être élu président de la Confé­déra­tion nationale des em­ployeurs du Sénégal (Cnes). Quels sont les axes de votre feuille de route ?
Je vous remercie de me donner l’occasion de revenir sur mon programme largement décliné lors de ma campagne électorale en direction des fédérations et groupements membres de notre fédération.
Les orientations que j’avais esquissées ont été complétées par des contributions de haute facture des membres du Conseil d’administration de la Cnes. Ce qui a abouti à une feuille de route largement partagée et qui embrasse l’ensemble des domaines d’activités des entreprises membres de la Cnes.
D’abord, il s’agira en priorité de se pencher sur la situation des entreprises en difficultés après un diagnostic approfondi, en vue de proposer des pistes de solutions d’urgence. Nous sommes d’avis que la crise aura un impact fatal sur ces entreprises qui, bien avant la pandémie, étaient au bord de l’asphyxie. La Cnes avait déjà attiré l’attention sur cette catégorie d’entreprises à travers de larges concertations co-organisées avec le Haut conseil du dialogue social, les syndicats de travailleurs, les administrations compétentes et les agences d’appui. Dans la perspective d’une sortie de crise, cette démarche inédite sera encouragée et poursuivie pour une bonne consolidation de notre base économique.
Le second volet de mon programme, c’est de nous ancrer dans une complicité positive avec l’Administration pour que des solutions pratiques soient trouvées en vue de la mise en place d’une approche systémique des problèmes de l’entreprise : recherche permanente et mise en application continue de réformes pertinentes, généralisation du concept de Contenu local, global etc. Enfin, il s’agira, avec mon équipe du Conseil d’administration, en plus de l’implication effective des présidents de fédérations et de groupements, d’élargir et de diversifier les bases de notre syndicat à travers l’inclusion des jeunes entrepreneurs et enfin de contribuer à une unification du patronat.

Votre prédécesseur a été de tous les combats pour la défense et l’illustration de la préférence nationale en ce qui concerne l’économie au Sénégal. Comment comptez-vous renforcer ce combat ?
Vous faites bien de le rappeler. Le regretté M. Cama, que la grâce d’Allah Swt soit sur lui, a été de tous les combats pour la défense de la préférence nationale dans l’activité économique de notre pays. Malheureu­sement, il n’a pas toujours été bien entendu. Mais les faits lui donnent aujourd’hui raison, si l’on observe la configuration de l’économie mondiale et le repli de toutes les économies sur elles-mêmes.
Les récents développements induits par l’apparition du Covid-19 ont rappelé tout le monde à l’ordre. Quand il s’est agi de manière immédiate de trouver des moyens sanitaires pour se prémunir et se soigner, d’approvisionner convenablement les marchés en denrées de première nécessité et d’apprendre à limiter les déplacements et les migrations, il est devenu évident pour tout le monde que la préférence nationale n’est pas un slogan, mais une réalité qui s’impose à tous les Etats, et particulièrement aux pays comme le nôtre, dépendant de l’extérieur à plus d’un titre.
Ce combat de la préférence nationale est celui de tous les Sénégalais, et le gouvernement dit l’avoir compris. Le Pap2A a donné, dans le programme de relance de l’économie nationale, une place de choix à l’entreprise nationale. La Cnes fait siennes ces orientations et je consacrerai une bonne partie de mon mandat à poursuivre et à consolider ce combat sur la préférence nationale.
La recherche de solutions endogènes est devenue une voie obligée à la lecture de la dépendance à l’extérieur de notre pays, constatée durant le Covid-19 et qui nous a davantage fragilisés.
Renforcer ce combat c’est fortifier les entreprises nationales pour qu’elles aient un accès plus important à la commande publique, mais surtout les moyens techniques et financiers de devenir compétitives et performantes.
Il faudra baisser les barrières d’accès aux financements et revoir les termes de référence qui excluent d’office les nationaux. A titre d’exemple, si un appel d’offres exige pour construire un viaduc que l’entreprise nationale candidate ait déjà réalisé ce type d’ouvrages, on exclut d’office les entreprises nationales.
Malgré tout, les pistes sont nombreuses pour fortifier le tissu d’entreprises pouvant bénéficier de la préférence nationale. La pre­mière c’est de nous réapproprier le concept de droit dit «affectio societatis» (ceux qui ont intérêts à s’associer) pour constituer des consortiums forts face à la menace des entreprises étrangères.

Sous votre magistère, quel sera le rôle de la Cnes dans ce contexte surtout marqué par la pandémie du Covid-19 ?
La raison d’exister de la Cnes est et restera la défense des intérêts de l’entreprise, en gardant à l’esprit ces valeurs contenues dans notre charte fondamentale : la promotion de l’entreprise nationale, une bonne gouvernance privée par le biais de l’entreprise citoyenne…
La Cnes compte aller plus loin dans la résolution des problèmes auxquels est confrontée notre société en jouant pleinement sa partition dans la mise en œuvre de solutions qui sont du ressort des entreprises, c’est-à-dire la contribution à l’emploi, la création de la richesse économique pour une stabilité sociale de notre pays.
Dans ce contexte de Covid-19, nous devons raffermir au plan national nos liens de solidarité et accepter le partage des richesses. A mon avis, pendant une période transitoire, il serait nécessaire d’initier un pacte social de convergence, le temps que notre pays se remette au travail afin de sortir de la crise. La Cnes sera partenaire pour une telle initiative sur le dialogue social.

Les violences notées ces derniers jours à Dakar et à l’intérieur du pays ont fait payer un lourd tribut aux stations-services et autres commerces. Il y a même eu des pertes en vies humaines. Quelle lecture en faites-vous ?
Je commence d’abord par m’incliner devant la mémoire des victimes et affirmer le soutien de notre organisation aux blessés et à ceux qui ont perdu leurs biens durant ces douloureux évènements.
Aucune violence, sous n’importe quelle forme, ne peut être légitimée. Cela dit, les soubassements de cette furie sont multiples, selon mon analyse : D’abord, notre structure sociale a fait une mutation importante que nous avons ignorée pendant longtemps, même si certains n’ont cessé de tirer, en vain, sur la sonnette d’alarme. C’était prévisible, car il manquait simplement l’étincelle pour mettre le feu à la poudrière sociale. Le noyau familial a éclaté depuis longtemps, en termes de valeurs et de rapports à la richesse. Ceux qui nous gouvernent, ceux qui s’opposent, ceux qui sont dans les autres corps sociaux sont issus de nos familles et sont pour la plupart nos parents, nos amis, les amis de nos amis. Le vrai problème c’est d’abord nous. Il faut nécessairement une introspection de chacun et un dialogue sans tabou pour enfin oser dire que l’argent, par tous les moyens, est insidieusement en train de détruire notre société. C’est un large débat que je ne peux pas développer dans cette interview, mais il est temps de se pencher sur les fondements de notre commun vouloir de vivre ensemble, notre perception de la valeur du travail et du patriotisme.
Ensuite, il faudra se poser la question de savoir pourquoi, bien qu’il y ait le Covid-19, comment un pays comme le nôtre, ayant eu au plan économique des taux de croissance aussi élevés (6% en moyenne), a pu se retrouver dans un cycle d’affirmation d’un mal-être économique et social au point que l’on vole en plein jour les biens d’autrui et les ramener dans nos foyers.
Nul ne peut contester que des fonds importants aient été alloués à des programmes de promotion de l’emploi des jeunes par le gouvernement. Les événements douloureux que nous venons de vivre révèlent que ces financements n’ont peut-être pas été satisfaisants ou opérants, si j’en juge par les réactions enregistrées durant la crise. Il faut revoir cette question de financement des jeunes. Les débordements que nous avons vécus ont terni l’image de notre pays au plan international, font douter des étrangers à investir dans notre pays en plus du potentiel renchérissement des taux de crédit lors des levées de fonds par le gouvernement. Par ailleurs, le discours de création d’emplois par l’Etat doit être revu. Il faudra replacer l’entreprise privée comme le principal foyer de création de richesses et d’emplois. Le patronat sénégalais et le secteur privé national en général ont fait l’objet de beaucoup de critiques dont la plupart sont infondées, même si je reconnais que des insuffisances existent. Les statistiques de l’Apix prouvent l’impact des investissements domestiques et il faudra que tout le monde s’y mette pour relever les défis auxquels notre pays fait face actuellement. Enfin, sans que ma grille de lecture de ces évènements ne soit exhaustive, il faudra qu’on réapprenne à s’écouter, à se parler et surtout à se respecter et crédibiliser nos institutions pour que puissent perdurer le droit et l’état de droit.

Suite à ces évènements, le Président Sall a annoncé une «réorientation des allocations budgétaires» pour davantage renforcer la formation et l’emploi des jeunes. Dans cette dynamique, il a invité le secteur privé à développer une initiative complémentaire de soutien à l’emploi et à l’insertion des jeunes à l’image de la Convention «Etat-emplo­yeurs». Qu’en pensez-vous ?
C’est tout à fait normal, comme le souhaite le chef de l’Etat, que le secteur privé puisse prendre sa part de responsabilité et de solidarité dans la recherche de solutions en direction de l’emploi des jeunes. Les entreprises, dès lors qu’elles ont retrouvé leur équilibre fortement perturbé par la crise, doivent participer de manière active à l’effort social nécessaire pour la relance économique que nous souhaitons tous. Plusieurs formes de soutiens aux programmes gouvernementaux en direction des jeunes existent : mise en place d’un fonds privé pour l’emploi etc. Nous avons intérêt à soutenir ces initiatives du gouvernement en tant que patriotes, mais aussi en tant qu’opérateurs économiques soucieux de faire fructifier nos affaires. C’est un partenariat gagnant-gagnant.

Un syndicat de votre organisation est monté au créneau pour contester votre élection et menace de saisir la justice pour son annulation. Que comptez-vous faire pour rassembler la famille de la Cnes autour de vous ?
Chaque entité membre de notre confédération est libre, en démocratie, de contester des résultats d’élection. Ce n’est pas que ma personne qui est visée, mais l’ensemble des membres du bureau et les instances de la Cnes. Je voudrais simplement dire que nous sommes une quinzaine de fédérations et groupements et seul un syndicat conteste les résultats de ces élections. Si la justice est saisie, laissons-la faire son travail au lieu de «porter presse». Je pense que le Conseil d’administration a respecté les textes de notre organisation. Pour diriger une association, il faut avoir le dos large. Je continuerai à tendre la main à tous nos membres et futurs membres. Cependant, je serai intransigeant sur la préservation de l’image de la Cnes que je défendrai sans rancune aucune et sans faiblesse coupable. Ma personne en elle-même est insignifiante par rapport à la grandeur de notre organisation dont le but est de rassembler des entreprises de divers secteurs économiques.

 

Source :
https://lequotidien.sn/entretien-avec-le-nouveau-president-de-la-cnes-adama-aiguise-sa-lam/

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