CNES

Ingénieur en génie civil, financier, industriel et administrateur de sociétés, le nouveau président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES), Adama Lam capitalise une riche expérience de dix ans dans le public et un peu plus 35 ans dans le privé dont 5 ans notamment le milieu bancaire (SOFISEDIT, banque de développement). Sans occulter ses 5 ans dans le milieu financier (SENEMECA) et 25 ans dans le secteur de la pêche en qualité d’associé et directeur financier du département Afrique du Groupe ADRIEN MICHEL, d’associé et directeur général adjoint de SOPASEN, et non moins 1er vice-président du syndicat patronal «GAIPES» (Groupement des Armateurs et Industriels de la Pêche au Sénégal) avec plusieurs négociations d’intérêt national avec le gouvernement. Dans cet entretien accordé à Sud Quotidien, le désormais patron de la Cnes aborde entre autres les enjeux de l’heure et défis relativement à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières, la place du privé dans le Pap2a, l’emploi des jeunes et la solidarité agissante de tous pour relever les défis.

M. le président, quelle lecture faites-vous du patronat sénégalais ?

Pour parler de lecture du patronat, vous devriez dire, à mon avis, des patronats, même si depuis des volontés de rapprochement existent et des actes posés à travers des plateformes d’unité d’action. C’est un des chantiers prioritaires de la Cnes qui, à défaut d’une unification organique, qui est notre vœu le plus cher reprenant en cela un héritage de Feu Mansour CAMA continuera d’initier et d’encourager toutes actions allant dans ce sens. C’est ainsi que nous nous inscrivons dans la tradition bien ancrée qui, à chaque fois que c’est possible, fait porterla parole du secteur privé par un seul représentant.

Alors peut-on parler de clubs patronaux ?

Le patronat est multiforme avec une forte présence de grandes sociétés généralement à capitaux étrangers à côté d’entreprises nationales de dimensions variables qui exercent dans pratiquement tous les secteurs d’activités de l’économie. Il est important de noter avec l’Agence nationale chargée de la promotion des investissements et grands travaux (Apix) que les investissements domestiques prennent une place de plus en plus importante dans notre tissu économique. Les différents patronats sont tous, il faut le reconnaître conscients de leur responsabilité dans le processus de construction nationale et en particulier dans la création de richesses, d’emplois, d’amélioration de la situation budgétaire de l’Etat et la consolidation de la souveraineté économique. Cependant, le poids du secteur privé bien qu’important n’est pas toujours à la hauteur des attentes. Dans cette situation, le patronat a sa part de responsabilité du fait de son émiettement qui toutefois peut se révéler être une richesse en termes de diversité et de capacité à répondre à une demande tout aussi multiforme des catégories d’entreprises. En tout état de cause, il nous faut revisiter sans complaisance les faiblesses de notre secteur privé tant national qu’étranger afin de mieux orienter les programmes et activités de relance de l’économie.

Quelle orientation et dans quelle temporalité inscrivez-vous votre action en qualité de nouveau président de la Cnes ? Autrement dit, entendez-vous vous inscrire dans la dynamique du défunt président émérite, ou alors vous réajuster au regard des enjeux et défis liés à la covid-19 mais également aux perspectives pétrolières et gazières du pays ?

Le Président Mansour Cama, que la Grace d’Allah SWT soit sur lui, a été de tous les combats de l’entreprenariat en général et pour l’entreprise nationale en particulier. Je ne répéterais jamais assez qu’il était un vrai patriote avec tous les attributs qui s’attachent à cette notion. Il était franc et engagé, honnête et désintéressé dans son combat. M. Cama était, par ailleurs, un homme brillant, un modérateur doté d’un leadership hors du commun et qui a donné à la Cnes ses lettres de noblesse, à côté d’autres personnes de qualité du milieu des affaires. M. Cama a balisé le chemin pour ceux qui ont l’ambition de soutenir des entreprises prospères et citoyennes au service de la communauté. Je m’inscris dans cette dynamique, sachant que l’entreprise nationale doit être le levier par excellence de sortie de crise à travers notre émergence, porteuse de changements profonds et qualitatifs au plan économique et social. Je ne peux revendiquer son héritage intellectuel et sa contribution énorme à l’économie sans réaffirmer ma ferme volonté de continuer les combats qu’il a mené au nom de la Cnes tout en les adaptant au contexte actuel si particulier de notre pays. «Les principes qui gouverneront ma présidence, seront basés sur mes convictions profondes d’un nécessaire positionnement de l’entreprise, nationale en particulier, au cœur du combat pour la reconquête de notre souveraineté économique». Les principes qui gouverneront ma présidence, seront basés sur mes convictions profondes d’un nécessaire positionnement de l’entreprise, nationale en particulier, au cœur du combat pour la reconquête de notre souveraineté économique. Ce constat m’a amené à développer un programme qui a non seulement convaincu mes pairs, mais aussi les a amenés à l’enrichir par des contributions pertinentes.

Mon programme est d’abord une invite aux fédérations de base pour dire que le moment des personnes providentielles est révolu et que seule une équipe engagée et soudée dans laquelle chacun joue sa partition est de nature à faire face avec succès aux défis de l’heure. Nous ferons un diagnostic approfondi et sans complaisance en impliquant toutes les composantes de notre organisation afin d’identifier les problèmes sectoriels particuliers auxquels viendront s’ajouter les préoccupations transversales induites par la covid-19. Les priorités seront dégagées et des propositions de solutions faites aux différentes parties prenantes : Administration, partenaires sociaux, institutions diverses. Il s’agira aussi, pour moi et l’équipe qui m’accompagne dans le conseil d’administration, de développer des relations d’une plus grande complicité positive avec l’Etat pour une meilleure prise en compte de nos préoccupations. Mais pour réussir ce partenariat public-privé, il nous appartient de corrigerl’une des plus grandes faiblesses de notre secteur privé qui est de s’associer afin d’atteindre une masse critique capable de lever des fonds conséquents et accéder à des contrats et marchés. L’exploitation future du pétrole et du gaz impose des moyens financiers importants. Seul le regroupement des moyens pourrait permettre d’exister économiquement face à la concurrence d’entreprises étrangère, régionale ou continentale qui disposent d’une plus grande expérience dans la gestion des ressources pétrolières et gazières 

Le privé national est prêt à saisir les opportunités d’exploitations pétrolières et gazières à partir de 2023 ?

Le contenu local dont la loi est votée doit être une réalité pour les nationaux qui doivent y trouver des opportunités plus ouvertes et plus conséquentes dans le respect strict des dispositions légales prévues et des règles de concurrence. Au moment où des contrats sont signés et des procédures d’installation entamées, on doit se rendre à l’évidence que les nationaux ont pris beaucoup de retard et le réveil risque d’être douloureux si nous ne faisons rien d’ici 2023. Il est temps de comprendre que nous ne pouvons plus accepter d’être toujours des exécutants et des sous-traitants dans l’exploitation de ressources nationales alors que des Sénégalais disposent de moyens humains et financiers aussi bien au niveau local qu’à travers la diaspora.

Dans le plan post-covid de reprise économique, le président Macky Sall entend faire jouer au premier plan des ambitions du Pap2a (2019-2023) le secteur privé, soit le tiers des financements à mobiliser à hauteur de 22 milliards d’euros, est-ce possible au vu de l’évolution de la crise sanitaire qui continue de saper les fondamentaux des économies ?

Le Plan d’actions prioritaires ajusté et accéléré (Pap 2a) est effectivement la seconde phase du Plan Sénégal Emergent (Pse) qui devrait parachever les objectifs du gouvernement. C’est assurément un projet très ambitieux, bâti il faut le reconnaitre au sortir de la première vague de la covid-19 avec pour objectif l’accompagnement de la résilience des entreprises. Il faut reconnaître que nous partageons entièrement les secteurs prioritaires définis par le gouvernement dont la liste doit être flexible pour prendre en charge l’impact que la crise pourrait avoir sur des activités jusqu’ici épargnées. Je reconnais que le rôle d’un homme politique est toujours d’entretenir la flamme de l’espoir (donc du possible) en ces moments de crise ; ceci nous renvoie au fameux slogan de Obama «yes we can». La suite des évènements avec d’une part, la deuxième vague de la covid-19 dont on ne connait pas encore l’ampleur avec les interrogations sur la vaccination, d’autre part la crise sociale que vient de vivre le pays, il est raisonnable de s’interroger comme vous le faites, sur la pertinence de maintenir ses objectifs. En ce qu me concerne, je ne pourrais me prononcer objectivement que lorsque le gouvernement aura sorti les chiffres réels des effets de la crise sur notre économie. En effet, 22 milliards d’euros c’est près de 14.000 milliards de franc cfa. Sur le marché financier mondial c’est un montant mobilisable en période normale pour un pays qui avait un taux de croissance moyen de 6% et des réserves de pétrole et de gaz.

Etes-vous sceptique quant à la mobilisation de cette manne financière ? 

Par rapport à la situation actuelle, je serai réservé parce je pense que le contexte n’est pas favorable pour atteindre ces objectifs. Cependant je ne suis pas dans les secrets et les stratégies du gouvernement pour être formel dans ma position. Je souhaite vivement me tromper.

Quelle devra être la posture du secteur privé national dans ce Pap2a ?

Le secteur privé national a des responsabilités qu’il doit assumer et je suis sûr que les conditions sont réunies en matière d’amélioration de l’environnement des affaires il saura faire face à ses obligations citoyennes. Le secteur privé national saura saisir les opportunités d’affaires en mobilisant les moyens de financement des offres d’investissement prévues dans le Pap2a du gouvernement. C’est tout l’intérêt de rendre opérationnelle la loi sur les contrats de Partenariat public-privé (Ppp) qui vient d’être votée et dont nous saluons la pertinence même si des ajustements et des clarifications sont attendus. Malgré les difficultés, la situation est favorable pour un nouveau sursaut national en vue de faire de l’entreprise nationale, le fer de lance d’une croissance économique inclusive et durable. Les entreprises nationales doivent accepter d’opérer des ajustements internes, faire preuve d’innovation et de rigueur. Toutefois, les performances du secteur privé et sa capacité de résilience sont fortement tributaires du climat social et de la mise en œuvre à temps des réformes régulièrement annoncées.

Le secteur privé national a-t-il les moyens de sa politique de développement face à un secteur privé étranger compétitif et conquérant ?

La covid-19 a démontré par l’exemple qu’il est obligatoire, au sortir de cette crise, de compter en priorité sur ses propres forces en s’appuyant en particulier sur les segments économiques vitaux et stratégiques tels que l’alimentaire, les Btp, la pharmacie, le médical, la formation, le numérique, les services, etc. A titre d’exemple dans toutes les économies fortes ou émergentes, l’industrie est un secteur transversal qui a un effet d’entrainement sur tous les autres secteurs de l’économie. L’Etat semble l’avoir bien compris comme le reflète les orientations du Pap2a dans lequel il réserve une place de choix au secteur privé national qui a conscient de ses lacunes doit aller vers la constitution de consortium ou autres types de regroupements économiques en vue de relever le défi. C’est important de le comprendre d’autant que la priorité pour beaucoup d’entreprise, c’est comment repartir et comment financer, de manière immédiate, le besoin en fonds de roulement et autres financements des investissements incompressibles et contraints. Le diagnostic annoncé plus haut servira à serrer au plus près la situation quotidienne des entreprises.

En tant que vivier de l’emploi et par ricochet créateur de richesses, comment le privé entend-t-il concourir à la ‘’digestion’’ du programme d’urgence de 350 milliards de FCFA en 3 ans dont 150 milliards pour 2021, annoncé par le chef de l’Etat ?

Je ne cesserai de répéter ce qui est une évidence que tout le monde connait : Les entreprises sont par essence, les principaux créateurs de richesses et les moteurs de l’offre d’emplois. Nous sommes disposés non seulement à accompagner l’Etat dans la mise en œuvre des projets dédiés aux jeunes, mais de contribuer en tant que privés, par l’emploi direct et le tutorat. Nous allons prendre des initiatives pour inviter le patronat à envisager la faisabilité de la mise en place de fonds spéciaux du secteur privé destiné à financer l’emploi des jeunes. Ce serait un moyen novateur d’assurer soit la bonification d’intérêt issu des placements du fonds, soit la garantie de crédits mais surtout la prise de participation dans des projets en direction des jeunes et des femmes sous forme de portage ou de prises de risques directs. L’Etat est cependant le maitre du jeu dans la définition de l’allocation des ressources publiques en direction des jeunes et je pense que les bénéficiaires prioritaires devraient être les jeunes les plus entreprenants, ceux qui n’ont pas attendu le Gouvernement pour essayer de s’en sortir. La transparence et l’équité sont les maitres mots et surtout l’équité territoriale. Mais avant toute action, faisons le point sur ce qui été déjà fait et en tirer de manière lucide et non politicienne tous les enseignements. L’Etat a mis beaucoup d’argent dans ces projets. Les banques aussi doivent aussi, en accord avec la banque centrale pour un allègement temporaire des règles prudentielles, augmenter les prises de risque en direction des Petites et moyennes entreprises (Pme) et Petites et moyennes industries (Pmi) pour compléter l’offre de possibilité de relance de notre économie. Dans cette optique, il faudrait que les jeunes comprennent que les crédits doivent être remboursés pour espérer un effet itératif du financement.

 La tension sociale est vive dans un contexte assez particulier et économiquement épouvantable, quel message adressez-vous au monde du travail, garant de toute stabilité socioéconomique pour une société plus épanouie, ancrée dans un processus de développement durable et harmonieux ? 

Vous avez raison de penser au monde du travail sans qui rien n’est possible. La plupart des employés ont subi les effets dévastateurs de la crise car tout ce qui touche les entreprises a forcément un effet sur les emplois. La situation impose une solidarité de tous. J’appelle à une concertation de tous les corps sociaux pour que les mesures qui seront prises soient d’abord comprises et accompagnées par toute notre nation. Le temps que vit actuellement notre pays ne doit pas être celui de l’invective, des querelles inutiles, de l’égoïsme. Une richesse non partagée ne sert à rien dans une nation. Un savoir non partagé en est l’exemple patent.

Recueillis par Jean Pierre Malou
www.sudonline.sn

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