Ingénieur en génie civil et financier, le nouveau Président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES), Adama Lam, cumule une longue expérience dans le public et le privé. Il totalise une dizaine d’années dans la Banque de développement (particulièrement comme Directeur d’exploitation de la Sofisedit) et 25 ans dans le secteur de la pêche. Il est actuellement l’Administrateur de la Sopasen et 1er Vice-président du Groupement des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal (Gaipes). Après son élection, le 13 mars dernier, il accorde sa première grande interview au Soleil. M. Lam évoque notamment sa feuille de route, ses priorités et réaffirme la disponibilité du patronat à accompagner la relance économique post-Covid. Avec comme crédo travailler, sans perdre de temps, pour l’intérêt de l’entreprise et du pays.
Après votre élection à la tête de la Cnes, quelle est votre feuille de route ?
Je vous remercie de me donner la parole pour m’adresser à mes concitoyens et aux partenaires du Sénégal suite à ma nomination à la fonction de Président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES). Cette adresse est empreinte d’émotions par le fait que, d’une part, c’est une responsabilité importante de porter la parole du patronat à la suite du choix de mes pairs et, d’autre part, par le contexte chargé qu’a vécu notre pays la semaine dernière. Permettez-moi d’abord de m’incliner, à nouveau, devant la mémoire de nos concitoyens disparus et de souhaiter un prompt rétablissement aux victimes touchés dans leur chair et par la destruction de leurs biens. C’est aussi l’occasion de rendre hommage au regretté Mansour Cama que j’ai l’honneur de remplacer. Un homme d’une grande stature, un patriote, un serviteur de la cause des entreprises et surtout de l’entrepreneuriat national. Qu’il repose en paix par la grâce d’Allah (Swt). Je remercie aussi le Conseil d’administration sortant. Ma feuille de route découle naturellement de mon programme proposé à mes pairs et validé par les instances de la CNES Elle se décline, en résumé, par plusieurs orientations générales. Premièrement, accompagner les entreprises membres de notre organisation pour une reprise rapide des activités fortement perturbées par la Covid-19 et les soubresauts vécus par le pays. Ce programme sera complété par un diagnostic approfondi des difficultés de chaque fédération ou groupement membre de la CNES. Deuxièmement, prendre contact avec les autorités gouvernementales pour une bonne estimation de la situation économique actuelle sur les plans macroéconomique et microéconomique. Troisièmement, élargir les bases de nos membres pour relancer le maximum d’entreprises dans la prise en compte des besoins du plus grand nombre. Quatrièmement, se rapprocher des autres organisations patronales pour harmoniser les positions et profiter de synergies qu’offrent les actions concertées en vue de l’implication du patronat. Cinquièmement, élargir les bases de nos membres pour inclure le maximum d’entreprises, afin que l’entreprise nationale soit au cœur de la relance économique. Sixièmement, participer activement aux actions de maintien de la cohésion nationale et de la souveraineté économique.
Votre élection intervient dans un contexte marqué par la crise économique. Comment le secteur privé national peut-il contribuer, de façon efficace, à la relance économique.
L’intervention du secteur privé est un passage obligé pour la relance économique dans tous les pays. Les fondamentaux d’une économie moderne, compte tenu des orientations et tendances mondiales, placent l’entreprise au cœur de l’activité économique, qu’il s’agisse de modèle d’économie centralisée ou de libéralisme sous différentes variantes. Notre pays a opté, selon ma compréhension, pour un engagement de l’État en ce qui concerne le secteur marchand hormis quelques exceptions dues à leur position stratégique. C’est dire que le secteur privé, qu’il soit national ou étranger, est une voie obligée pour la création de richesse. L’État, dans notre situation actuelle marquée par la crise, doit, à mon avis, se concentrer sur ses missions régaliennes, lesquelles seront un socle pour la relance économique via le secteur privé. Il s’agit, en fait, de créer des conditions économiques favorables pour l’investisseur national : les réformes et incitations fiscales, l’allégement des procédures, l’assainissement du climat des affaires, une volonté politique d’appuyer et de s’appuyer sur le secteur privé, garantir un accès rééquilibré à la commande publique et aux ressources nationales et procéder à l’apurement régulier de la dette intérieure publique pour permettre aux entreprises nationales de souffler et reconstruire les fonds de roulement et réinvestir.
Comment appréciez-vous le PAPA 2A ?
Le Plan d’actions prioritaires (2019-2023) ajusté et accéléré (PAPA 2A) a pour objectifs de bâtir une économie forte et résiliente, un bon cadre macroéconomique, un secteur privé national fort, le développement du capital humain et une économie numérique. C’est un plan cohérent et ambitieux si l’on tient compte des taux de croissance obtenus entre 2014 et 2018 et des bons résultats durant la phase de résilience lors de la première vague de la Covid-19. La deuxième vague est venue bouleverser toutes ces certitudes, avec notamment une crise sociale avec de multiples répercussions, sans compter la tension budgétaire sur les finances publiques. Il faudra garder le cap sur les orientations, mais revoir le niveau des objectifs visés. 5,2 % de croissance en 2021 et 7,2 % en 2022 seront des bases qu’il nous sera difficile d’atteindre. Laissons les autorités nous édifier, car nous ne détenons pas les vrais chiffres macroéconomiques actuels.
À la lumière des enseignements de la Covid-19, l’État compte beaucoup sur le secteur privé national pour la deuxième phase du Pse. Qu’attendez-vous en retour de l’État ?
Sans m’appesantir sur la sémantique et la définition de l’entreprise nationale, il est constant dans la démarche de la CNES, d’avoir toujours cherché à ce que les nationaux soient le socle du privé national. Notre pays regorge de talents, de compétences et de champions capables de relever le défi d’une appropriation de l’activité économique par une majorité de Sénégalais. Et cela, dans tous les domaines. C’est une revendication légitime, normale et compréhensible que d’affirmer que nous voulons être prioritaires dans notre pays ou notre espace économique. Cela ne veut nullement dire que nous sommes contre les étrangers. Nous avons besoin de l’investissement étranger et personne ne le conteste. L’histoire nous a rattrapés et la pandémie Covid-19 a été, malheureusement, le douloureux révélateur de l’adage : « il faut d’abord compter sur ses propres forces ». L’État a compris le message et je pense que toutes les conséquences seront tirées de cette situation en ce qui concerne l’orientation économique de notre pays par rapport à la préférence nationale largement réclamée par toutes les organisations patronales et la majeure partie de nos concitoyens.
Dans le PAP 2A, l’État a réaffirmé sa volonté de compter sur le secteur privé national. C’est une bonne décision. Reste à la concrétiser de manière substantielle, en gardant à l’esprit la nécessité d’aborder dans le bon sens une préférence nationale dans laquelle le copinage sera totalement écarté au profit du mérite et de la compétence. Les entreprises du privé national attendent de l’État des actes forts qui peuvent se résumer pour l’essentiel aux points suivants : réforme dans le Code des marchés pour inclure dans la réglementation une obligation pour la préférence nationale et accélérer les réformes dans les autres secteurs. Le Chef de l’État a, lui-même, dit qu’il ne comprenait pas le retard de certaines réformes. Il faut donc créer les conditions d’une complicité positive et économique viable entre l’État et les entreprises nationales. Les chefs d’entreprise doivent être pris en compte dans les négociations avec les étrangers qui désirent investir au Sénégal. C’est un moyen efficace de promouvoir indirectement les joint-ventures. Il faut aussi mettre en place une diplomatie économique pour accompagner les entreprises nationales dans la conquête de nouveaux marchés dans notre espace économique sous-régional. En outre, il faut limiter les tracasseries administratives pour donner confiance aux privés nationaux et encourager, de ce fait, le secteur informel à rejoindre le cadre formel et négocier les lignes de crédit pour l’investissement et la reconstitution des fonds de roulement. Les banques de développement doivent être à l’ordre du jour.
Enfin, il faut accompagner, de façon agressive, les start-up et mettre en place un cadre de concertation pour un dialogue permanent. Ces pistes ne sont pas exhaustives et pourraient être complétées par des propositions de tout le patronat en tenant compte, bien entendu, des contraintes de l’État en ces temps difficiles.
Comment le secteur privé national compte-t-il jouer sa partition dans le programme d’urgence pour l’emploi des jeunes annoncé par le Président Macky Sall ?
Il y avait une nécessité d’envoyer des signaux en direction de la jeunesse dont les attentes en matière d’emploi ont été déçues. Le Chef de l’État l’a compris si j’en juge par sa déclaration. Il faudra maintenant des actes concrets. Nous attendons aussi, avant de nous prononcer, d’avoir la feuille de route du Gouvernement sur ce sujet. Par sa connaissance de la vie d’une entreprise et son expertise, le privé national peut jouer un rôle important pour la réussite de ce programme. Il est notamment disposé à assurer un rôle de tutorat aux jeunes entrepreneurs pour mieux les encadrer. À mon avis, il serait nécessaire de créer un fonds de garantie et d’investissement pour accompagner les jeunes. Enfin, il faut reconnaître que l’emploi des jeunes est un problème mondial, même s’il se pose avec plus d’acuité dans les pays avec une population jeune.
Qu’est-ce qu’il faut revoir dans l’approche pour plus d’efficacité ?
À mon avis, la première chose à faire, c’est d’évaluer ce qui est déjà fait. Il faudrait même dépasser la notion d’efficacité pour tendre vers l’efficience, les problèmes étant cruciaux et urgents. Le changement d’approche devrait inclure la clarification que le financement n’est pas un don mais un prêt et renforcer la formation et mettre en place un dispositif de suivi rigoureux. Les jeunes qui devraient bénéficier de ces fonds devront être ceux qui, sans attendre le Gouvernement, ont montré leur volonté d’entreprendre. Il faudra aussi tenir compte de l’équité territoriale et prioriser les secteurs à fort potentiel de main-d’œuvre (notamment l’agro-industrie). Le temps n’est pas à la parole ; il faut agir et tous les citoyens sont interpelés.
Propos recueillis par Seydou KA (Photo Moussa SOW)
Le SOLEIL Quotidien (www.lesoleil.sn)